LES DESINFECTANTS SUBISSENT DE PLUS EN PLUS DE PRESSION
Table ronde consacree aux biocides
Avant la huitième édition des Quality Days, plusieurs acteurs du monde de l'entreprise et de la recherche ont été conviés à une table ronde intéressante. Cette fois, la discussion était placée sous le signe des biocides, qui suscitent de plus en plus l'attention du secteur alimentaire et des instances en charge des audits. Des scientifiques, fabricants de désinfectants et autres spécialistes se sont exprimés sur le danger des biocides, la législation en la matière et les alternatives possibles pour l'avenir. En tant que partenaire média, nous vous avons concocté un compte-rendu détaillé de cette table ronde.
SITUATION
Le modérateur Joost Buysschaert de l'entreprise de nettoyage Epacco a ouvert le débat en esquissant un aperçu de la situation. Joost Buysschaert: “L'idée de consacrer cette disc
ussion aux biocides part de la constatation que ceux-ci sont de plus en plus remis en question par le retail et les auditeurs. Les quats ne sont pas interdits, mais ils sont soumis à de nombreuses exigences très strictes concernant les résidus. Je me demande comment nous pourrons désinfecter correctement à l'avenir tout en répondant à toutes les exigences des clients et des organismes de contrôle. Cette crainte est-elle fondée? Devons-nous vraiment être aussi stricts?"
DANGERS
Koen De Reu: “Ma première réaction par rapport aux résidus est qu'il est important de savoir si l'on a bien rincé après la désinfection, jusqu'à ce qu'on ne constate plus de valeurs inacceptables. Nous savons tous que les règles de base d'un bon nettoyage et d'une bonne désinfection ne sont pas toujours respectées, faute de temps. En effet, il faut que ces opérations soient effectuées le plus vite possible afin de maximiser la production. Parfois, les désinfectants restent simplement dans le corps de pompe à la fin de la journée de travail. Mais le rinçage reste une étape importante pour éviter que des résidus de désinfectants ne se retrouvent dans les aliments pendant la production."
Liselotte De Ridder: “En ce qui concerne le danger de ces résidus, il règne un aspect émotionnel qui, jusqu'à présent, ne repose guère sur des fondements scientifiques. Il y a plusieurs années, en Allemagne, il y a eu un problème avec des quats dans des produits laitiers, où l'on a trouvé des valeurs de résidus très élevées. A l'époque, il n'y avait pas encore de législation MRL relative aux valeurs de résidus maximum autorisées, si bien qu'on a imposé un niveau de sécurité provisoire en guise de mesure de précaution. C'est là-dessus que se basent les auditeurs dans leurs contrôles. Jusqu'à présent, il n'a guère été prouvé de manière scientifique et efficace que ces valeurs sont trop strictes ou trop souples. C'est valable pour les quats, mais aussi pour d'autres substances actives comme les amines."
Frank Devlieghere: “C'est donc le principe de précaution européen qui joue ici. C'est l'inverse aux Etats-Unis: tant qu'on n'a pas prouvé que ce n'est PAS un problème, c'est un problème. Si nous ne connaissons pas exactement le risque, nous n'avons qu'à fixer la limite de détection - 0,01 ppm - comme valeur limite en attendant le jugement définitif. Les sels d'ammonium quaternaires ont une efficacité prouvée et sont donc très souvent utilisés dans l'industrie alimentaire. On y est donc souvent exposé. Mais il est vrai qu'il faut aussi regarder à d'autres composants actifs dans les désinfectants."
Wouter Burggraaf: “Certains détaillants et instances de certification vont exiger des entreprises de transformation alimentaire qu'elles effectuent un contrôle des résidus garanti, mais la certification BRC ou IFS ne mentionne pas jusqu'à quel niveau ce contrôle doit être effectué. Les exigences du retail sont plus strictes que les MRL (maximum residue levels) imposées par la loi. D'ailleurs, on ne dit pas comment ces contrôles doivent être effectués, et on ne fait pas de distinction entre les résidus provenant de biocides utilisés par l'entreprise et les pesticides utilisés dans la production primaire. De plus, les tests rapides actuels sont loin d'être assez sensibles. Il faut vraiment de très hautes quantités pour que le résultat soit positif. On passe donc à côté du but de ces contrôles."
Joost Buysschaert: “Les substances actives dans ces désinfectants doivent tuer les bactéries qui sont toujours là après le nettoyage, mais une surface entièrement stérile est une utopie. Selon moi, ce n'est pas ce à quoi nous devons aspirer, même si c'est ce que le retail semble exiger. Les micro-organismes restants doivent juste être réduits à un minimum acceptable. A cet égard, le nettoyage joue un rôle plus important que la désinfection, car il entraîne une plus forte réduction du nombre de germes. Le nettoyage doit aussi supprimer la saleté incrustée afin que les désinfectants ne puissent pas réagir à son contact ou être inactivés et perdre ainsi leur efficacité.“
Lieven De Zutter: “Comme avec les antibiotiques, on risque aussi de voir apparaître une certaine forme de résistance des bactéries en cas d'utilisation fréquente de désinfectants. Ceci dit, dans le cas des antibiotiques, le mécanisme de décomposition des bactéries n'est pas le même. Là, il s'agit d'un mécanisme clé-serrure ciblé, alors que les biocides - qui en soi sont déjà une composition de différentes substances actives et autres composants - fonctionnent comme un marteau qui attaque les micro-organismes par différentes voies et de différentes manières. Dans le cas de quats, le risque de formation de résistance a déjà été démontré, mais pour les autres substances actives, ce risque est certainement beaucoup plus faible qu'avec les antibiotiques, précisément à cause de ce mécanisme non ciblé. Là aussi, nous devons nous poser des questions."
Elodie Callens: “Nous revenons ici aux principes de base d'un bon nettoyage et d'une bonne désinfection. Toutes les substances actives dans les désinfectants - chlore, quats, aldéhydes, acides peracétiques, peroxyde, alcools, amines, acide lactique, ... - présentent des avantages et des inconvénients, si bien qu'ils sont généralement combinés ou alternés pour un effet synergique. Si les produits sont utilisés correctement et dans les concentrations adéquates, comme indiqué sur l'étiquette, il ne peut pas y avoir de risque de mutation ou de résistance et il n'y a pas de réel danger pour la santé publique. Malheureusement, les choses sont souvent différentes dans la pratique."
- Ali Qadari travaille pour le SPF Santé publique au service Biocides au sein du DG Environnement. Il surveille la réalisation du circuit fermé.
- Lieven De Zutter est professeur à la Faculté de médecine vétérinaire à l'UGent. Il s'intéresse beaucoup à la microbiologie alimentaire et au transfert des pathogènes dans la chaîne de la viande.
- Wouter Burggraaf possède avec Burggraaf & Partners B.V. son propre bureau dédié à la conception hygiénique. Il est membre d'EHEDG Pays-Bas et de la plateforme néerlandaise Safe Food Factory.
- Liselotte De Ridder est responsable du support ventes et qualité chez CID Lines. Elle est étroitement impliquée dans le maillon entre le développement de produits et la réglementation.
- Anne Lepage est microbiologiste et fait partie des experts techniques du DG Environnement du SPF Santé publique. Au niveau européen, elle est gestionnaire du dossier substances actives.
- Koen De Reu mène à l'ILVO une étude scientifique sur les biofilms et la résistance des biocides. Il travaille aussi comme auditeur dans des laboratoires de microbiologie alimentaire.
- Frank Devlieghere est microbiologiste alimentaire à l'UGent et travaille surtout avec des organismes de putréfaction. Il étudie l'influence du nettoyage et de la désinfection sur la qualité alimentaire.
- Elodie Callens travaille comme key account manager à la division 'Food' chez CID Lines. Elle assiste et conseille les entreprises alimentaires dans leurs activités de nettoyage et de désinfection.
LEGISLATION
Anne Lepage: “La législation relative aux détergents et aux désinfectants se concentre d'une part sur la sécurité de l'homme et d'autre part sur l'impact environnemental. Les fabricants doivent prouver que leurs produits répondent aux règlements nationaux ou internationaux en vigueur. Concrètement, pour les biocides, il y a la BPR, la 'Biocidal Products Regulation'. Les risques pour la santé des biocides sont variés. Nous ne devons pas seulement penser aux consommateurs qui pourraient ingérer des résidus présents dans les aliments, mais aussi aux utilisateurs qui - en fonction de l'activité - sont parfois en contact quotidiennement avec des produits désinfectants et ne portent pas toujours des vêtements de protection, comme c'est pourtant prescrit sur la base des formulations."
Liselotte Deridder: “Lors des tests en labo, les conditions d'utilisation sont rédigées de manière très théorique. Si nous allons ensuite vers des tests sur le terrain, les actes d'autorisation dans la prochaine BPR devront être étoffés de plusieurs pages. Au lieu de 'rincer en profondeur à l'eau potable', il faudra, par exemple, mentionner la qualité d'eau, sa pression et sa température. La communication sera alors plus claire, mais il restera la question de savoir si cela sera respecté dans la pratique. En effet: plus il y a de paramètres dans les conseils d'utilisation, plus ils sont difficiles à comprendre. Et allez-y pour contrôler tout ça ..."
Wouter Burggraaf: “Lorsqu'une problématique attire tellement l'attention qu'elle en devient une mode, comme maintenant avec les quats, on peut se dire qu'un auditeur va se concentrer dessus lors de son prochain contrôle. En tant que responsable qualité, on peut toujours réagir en suivant de près ce qui se passe sur le marché. Le responsable doit ensuite sensibiliser le personnel de nettoyage afin qu'il prenne réellement conscience de ses activités. Si vous êtes capable de leur faire visualiser les choses, ils peuvent mieux comprendre s'ils font du bon travail ou non, c'est-à-dire s'ils utilisent un produit de nettoyage ou de désinfection correctement ou non. C'est beaucoup plus efficace qu'une explication théorique."
Koen De Reu: “Je suis moi-même auditeur pour des labos de microbiologie alimentaire et je peux le confirmer en toute honnêteté. Parfois, il y a un effet boule de neige après que les auditeurs se sont concertés. Alors, nous sommes soudain attentifs à des choses auxquelles nous n'accordions quasi pas d'attention avant."
Ali Qadari: “La législation REACH et CLP pour les produits de nettoyage et de désinfection est une loi européenne. En revanche, les procédures d'autorisation des biocides ne sont que partiellement réglées au niveau européen, mais on y travaille. La date limite provisoire à cet égard est en 2024, mais pour l'instant, chaque pays peut déterminer sa propre reconnaissance. Afin que les autorités aient un aperçu clair du marché des biocides en Belgique, nous avons mis en place depuis l'an dernier un circuit fermé pour certains biocides. Celui-ci découle de la BPR. Les vendeurs de ces biocides doivent indiquer au moins une fois par an dans une application en ligne quels produits ils ont vendu - avec quel numéro d'autorisation - et à qui (pour quelle application, donc). Il n'est pas nécessaire d'indiquer les quantités utilisées. L'idée est de pouvoir prendre des mesures concrètes après avoir analysé les données collectées. De cette façon, nous pourrions imposer des conditions de formation spécifiques à certaines catégories d'utilisateurs, lorsqu'il s'avère, par exemple, qu'ils ne respectent pas les conditions d'utilisation mentionnées dans l'acte d'autorisation. Mais nous n'en sommes pas encore là. Cela doit d'abord être élaboré en interne."
ALTERNATIVES
Elodie Callens: “A l'heure actuelle, il existe déjà de nombreuses alternatives aux biocides, mais souvent, elles ne disposent pas encore des autorisations requises. On examine leur efficacité microbiologique, mais on néglige les autres aspects - comme l'environnement et la sécurité - qu'il faut pourtant prendre en compte. Par ailleurs, les détergents enzymatiques suscitent de plus en plus d'attention, mais des études ont démontré que leur impact sur la santé des utilisateurs est sous-estimé."
Koen De Reu: “Faute de cadre légal, les producteurs de ces produits alternatifs spécifiques font de nombreuses allégations ... qui ne reposent sur aucune preuve. Le nettoyage probiotique - qui consiste à administrer de bonnes bactéries afin d'éliminer les mauvaises bactéries - est souvent cité comme alternative aux processus de nettoyage et de désinfection classiques. Nous avons nous-même effectué une étude à ce sujet avec l'ILVO dans une batterie de porcelets, mais nous sommes arrivés à la conclusion que cette méthode n'offre certainement pas une meilleure hygiène que l'étape de désinfection traditionnelle (qui est supprimée avec le nettoyage probiotique). De plus, l'industrie alimentaire est clairement réticente à l'idée d'introduire des spores bactériennes sur le sol de production. Je ne prévois donc pas de gros développements pour cette méthode."
Frank Devlieghere: “Je pense toutefois que ce n'est pas une mauvaise idée de voir si nous pouvons supprimer les produits de désinfection dans certains cas, s'ils entraînent des valeurs de résidus trop élevées et si le nettoyage en soi a déjà un gros effet bactériologique. Parfois, la qualité microbiologique exigée peut être atteinte avec une lessive de sodium ou un traitement thermique, qui éliminent le problème des résidus par la même occasion. Les acides organiques, comme l'acide citrique, l'acide lactique ou l'acide décanoïque peuvent aussi apporter une solution. Ceux-ci peuvent être utilisés comme additifs alimentaires, si bien qu'ils ne doivent pas être rincés si on les utilise pour désinfecter. Cela se fait par exemple avec les couteaux dans les abattoirs, qui sont désinfectés à l'acide lactique. De plus, les acides sont mieux dégradables et donc plus écologiques que les biocides."
AVENIR
Lieven De Zutter: “On peut conclure que l'on ne peut désinfecter correctement qu'après un bon nettoyage. La marche à suivre pour le nettoyage et la désinfection doit être strictement respectée, sans oublier le rinçage. En vue d'une potentielle formation de résistance, l'utilisation correcte des produits - dans les bonnes concentrations - est également importante. A l'avenir, nous pouvons nous attendre à encore plus d'attention pour les produits et méthodes de désinfection alternatifs ne laissant aucun résidu. En outre, il faut s'atteler à de nouveaux tests rapides validés pour la surveillance des résidus. Il faut aussi que l'on sache exactement si la résistance des bactéries aux produits désinfectants est possible ou pas. Et si, à terme, les désinfectants doivent être testés dans la pratique avec des tests sur le terrain, il faudra des conseils d'utilisation qui soient plus détaillés tout en restant réalistes."
